Je viens de découvrir On Mighty Thews (OMT), un jeu de rôle de Simon Carryer disponible en PDF et en français chez Lapin Marteau. C’est du sword & sorcery narrativiste bac-à-sable et ça fourmille d’idées sympathiques facilement adaptables. Que peut-on en faire avec Heroquest Glorantha ? Je développe rapidement deux idées que je testerai dans nos prochaines parties.
Narration partagée
Dans OMT, plus un test est réussi, plus le personnage obtient de « points de succès ». Ces points de succès sont ensuite transformés soit en bonus pour des actions futures, soit en « faits », c’est-à-dire en détails narratifs.
C’est une procédure qu’il est très facile d’intégrer à Heroquest. Au terme d’un test réussi, si le joueur le souhaite, il peut décider de remplacer le traditionnel « benefit of victory » (p69) par des « faits », selon le barème suivant :
- Réussite marginale : aucun fait, l’action est réussie a minima, à la discrétion du narrateur.
- Réussite mineure : un fait.
- Réussite majeure : deux faits.
- Réussite complète : trois faits.
C’est au joueur – et non au narrateur – d’ajouter un fait à l’interprétation du test, c’est-à-dire un élément narratif qu’il invente pour enrichir et/ou faire progresser l’histoire. Au meneur de jeu d’improviser ensuite à partir de sa proposition.
Prenons un exemple : Janeera la prêtresse d’Ernalda utilise sa rune de l’Harmonie pour apaiser une foule en colère. Le joueur lance les dés, c’est réussi. Voici les différents cas possibles :
- Réussite marginale : le meneur de jeu explique que Janeera a évité une émeute d’extrême justesse, que la situation est pour l’instant sous contrôle mais précaire, la colère couve, la foule risque de s’embraser à nouveau si rien d’autre n’est entrepris dans les prochaines heures.
- Réussite mineure : « Janeera, mon personnage, parvient à calmer la foule, et comprend (fait 1) que cette colère était fondée sur une fausse rumeur ».
- Réussite majeure : « Janeera, mon personnage, parvient à calmer la foule, et comprend (fait 1) que cette colère était fondée sur une fausse rumeur répandue (fait 2) par les soldats de la garnison lunaire ».
- Réussite majeure : « Janeera, mon personnage, parvient à calmer la foule, et comprend (fait 1) que cette colère était fondée sur une fausse rumeur répandue (fait 2) par les soldats de la garnison lunaire. Prenant conscience de cela, la foule se retourne contre la garnison en question (fait 3) ».
Bien sûr, Heroquest est déjà en soi un jeu qui met les joueurs à forte contribution pour décrire non seulement ce que fait leur personnage mais aussi les conséquences de ses actions. Là, cependant, cela va un peu plus loin : dans l’idéal, cette idée de fausse rumeur ou de garnison lunaire ne faisait même pas partie du scénario ou des intentions du narrateur. Mais c’est quand même chouette, non ?
Cartographie collaborative
OMT propose par ailleurs que le meneur de jeu et les joueurs, au début de la session, définissent ensemble le cadre du jeu, en posant sur une feuille blanche, en autant d’endroits qu’il y a de joueurs, un mot correspondant à la nature profonde de chaque personnage. Chacun de ces mots deviendra un des « pôles » de la carte, que celle-ci représente une région, un « donjon » ou quoi que ce soit d’autre. Les joueurs doivent ensuite traduire ces pôles symboliques en éléments de background, qu’il s’agisse d’éléments physiques (topographiques), politiques, culturels, magiques, etc. Par exemple, un pôle « arrogant » déposé par un joueur (parce que son personnage est défini comme arrogant) peut désigner :
- une cité fortifiée belliciste
- un quartier abritant la noblesse décadente d’une capitale
- le manoir d’un magicien trop ambitieux
- un sommet surplombant tous les autres dans une chaîne montagneuse
A partir de là, plus on s’éloigne de ce pôle, plus on se dirige vers un environnement correspondant à l’opposé symbolique, donc dans notre exemple plus on va vers une zone « humble ». A nouveau, on essaie d’imaginer à quoi cela peut correspondre. Je vous laisse découvrir la suite dans OMT, il y a quelques développements supplémentaires. L’objectif est de créer rapidement un environnement maîtrisé par les joueurs et cohérent avec leurs personnages.
Avec Heroquest, on doit pouvoir imaginer quelque chose de proche, pour préciser un cadre qui a besoin de détails. Certes, Glorantha peut sembler déjà archi-détaillée, mais, après tout, connaissez-vous vraiment tous les recoins et secrets des terres de votre clan, ou de la région que vous avez à traverser pour accompagner ce convoi du Kresh dans les plaines de Kothar ? En réalité, nous sommes là en présence d’un outil au potentiel considérable, adaptable à toutes les échelles. Simplement, puisque nous sommes dans Glorantha, nous partirons des runes, qu’il s’agisse de celles des personnages, de leur communauté, d’un culte important pour eux, etc. A partir de là :
- Chaque joueur crée un pôle sur la feuille en partant d’une rune de Pouvoir présente sur sa feuille de personnage, qu’il s’agisse de l’une de ses trois affinités runiques, d’une rune de sa communauté culturelle, ou d’un culte, ou associée à un objet, ou à un esprit lié, etc. Pour mémoire, les runes de Pouvoir sont organisées en paires opposées :
- Harmonie / Désordre
- Vie (Fertilité) / Mort
- Statisme / Mouvement (Changement)
- Vérité / Illusion
- Plus on s’éloigne d’un pôle, plus le Pouvoir opposé s’avère influent. Par exemple, si le premier joueur a défini un pôle Statisme, plus on s’éloigne et plus la rune du Mouvement (Changement) devient déterminante.
- Si un joueur le souhaite (c’est particulièrement utile en cas de doublon, quand deux joueurs déterminent un pôle à partir de la même rune), il peut affiner son pôle en associant à la rune de Pouvoir une autre, Elémentaire, de Forme ou de Condition, présente sur sa feuille de personnage.
- Enfin, on complète la carte en ajoutant des éléments topographiques : forêts, montagnes, fleuves, marais, lacs, vallées, ruines, lieu maudit… ou n’importe quoi d’autre, soyez inventifs ! Les joueurs en placent autant qu’il leur semble collectivement nécessaire, en essayant d’être cohérents. Puis chacun associe à tour de rôle deux de ces éléments topographiques à un binôme de runes de son choix (cette fois présentes ou pas sur sa feuille de personnage). Seule contrainte : les runes ne doivent pas être de même nature : Elémentaire, de Forme ou bien de Condition. Il ne reste plus qu’à déterminer à quoi correspondent ces symboles… ou bien à s’en tenir à de vagues rumeurs dans un premier temps et à découvrir le reste en cours de jeu ! Notons que tous ces lieux sont, selon leur disposition sur la carte, sous plus ou moins influencés par les runes de Pouvoir correspondant aux différents pôles.
Imaginons rapidement quelques exemples :
- Un pôle Statisme. Un royaume très ancien, ou bien une cité résistant à un siège, ou bien une communauté particulièrement xénophobe, attachée à de très ancienne traditions.
- Plus on s’éloigne de ce pôle, plus la rune du Mouvement (Changement) est influente, ce qui peut correspondre à une région instable située à la frontière d’un conflit, ou bien à un territoire parcouru par un peuple nomade.
- Un pôle Désordre associé à la rune de la Lune. Une île au milieu d’un fleuve est habitée par un esprit lunaire très puissant qui soit rend fou ceux qui l’approchent, soit accomplit pour eux une divination, soit (mais cela est ignoré) les fait accéder à l’Illumination. On vient de très loin pour le rencontrer, ce qui a donné naissance à une petite bourgade prospère mais aussi agitée de crises et de conflits fréquents, sans doute sous l’influence étrange de l’esprit.
- Une zone montagneuse associée aux runes de la Lune et de la Magie. Un gouffre dont le fond est tapissé d’un minerai qui se met à luire lorsqu’il est touché par les rayons de la Lune rouge. Ce minerai fait l’objet d’une exploitation strictement encadrée par l’Université de Magie Lunaire dans un but gardé secret.
- Une forêt associée aux runes de la Bête et du Feu (Ciel). De cette forêt, quelque part dans Tarsh, jaillit périodiquement une meute d’animaux magiques ailés qui parcourent la région, détruisent les enclos et fécondent les femelles des troupeaux qui donnent ensuite naissance à des rejetons ailés mais stériles, très difficiles à domestiquer.