[Voici un conte doraddi écrit par Sandy Petersen, traduit et publié ici avec son aimable autorisation, un grand merci à lui. Les photos et les sculptures sont d’Eric Vanel, qui fut à la naissance béni par le Toucher de Pocharngo, de sorte qu’il sait délicatement broyer tes os et tes muscles pour les refaçonner à l’image d’un membre subtilement purulent de Krarsht la Bouche-qui-Attend.]

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Ceci est l’histoire d’une grand-mère qui aimait trop son petit-fils.
Les jeunes filles accouraient de toute part dans l’espoir de devenir la femme de ce beau garçon. « Epouse-moi! » suppliaient-elles. « Je serai ton amante à la fois pudique et passionnée. Je m’occuperai de toi avec bienveillance, je te cuisinerai chaque jour de délicieux gâteaux au miel ».
Les prétendantes amenaient des friandises qu’elles avaient elles-mêmes préparées, et portaient des vêtements qu’elles, ou leur mère, avaient confectionnés. Le garçon appréciait beaucoup ces attentions, et sa grand-mère raffolait des sucreries et des beaux atours.
Un jour, le jeune homme finit par s’éprendre de l’une d’entre elles, particulièrement jolie. « Je veux épouser cette fille, dit-il à sa grand-mère, elle est parfaite pour moi ». La vieille femme lui répondit: « Qu’en sais-tu? Peut-être qu’elle ronfle la nuit, ou qu’elle paraît laide au réveil? Tu dois en avoir le cœur net avant de prendre une décision. Invite-la à passer une nuit avec toi sous la tente. Elle dormira près du seuil et toi au fond. Ainsi, tu la connaîtras mieux ». Le garçon acquiesça et le rendez-vous fut arrangé pour le soir-même.
Entre-temps, la vieille femme courut trouver la chamane: « Sorcière! Sorcière! Donne-moi le charme dont j’ai besoin. Donne-moi le Masque de Bolongo! » Et la chamane lui donna le Masque de Bolongo.
Cette nuit-là, une fois le jeune homme et sa prétendante profondément endormis, la vieille femme revêtit le masque et se para de divers accessoires. Elle boucha délicatement les oreilles de son petit-fils avec de l’argile puis se faufila jusqu’à la jeune femme. « RAAAH! », rugit-elle! Réveillée en sursaut, la prétendante découvrit avec effroi Bolongo penché sur elle, toutes griffes dehors, langue pendante, cornes recourbées. La jeune fille hurla et ne remit jamais les pieds dans ce lieu terrifiant.
Au petit matin, le jeune homme demanda: « Où est ma fiancée? ». La vieille femme répondit: « Elle a décidé qu’elle ne t’aimait plus. Bon débarras ». Le garçon en fut attristé quelque temps, puis retrouva bientôt sa bonne humeur.
Au bout d’un moment, la vieille femme réalisa que sa mystification ne requérait pas tous ses accessoires encombrants. Elle se contenta dès lors de porter un long voile et, sous ce voile, de conserver sur elle, en permanence, le Masque de Bolongo. Quand une prétendante venait déclarer sa flamme au garçon, la vieille femme attendait qu’elle ait déposé les offrandes puis envoyait son petit-fils chercher de l’eau. Pendant ce temps, elle s’approchait de la fille, soulevait son voile et hurlait « RAAAH! ». Immanquablement, la jeune femme prenait ses jambes à son cou et ne revenait jamais. Ainsi, la vieille femme s’assura de garder pour toujours son petit-fils auprès d’elle. Tous deux voyagèrent d’oasis en oasis, de tribu en tribu, jusqu’à ce que, finalement, il n’y ait plus aucune fille à repousser.

Un jour, le garçon demanda: « Grand-mère, pourquoi portes-tu ce voile en permanence? ».
« C’est parce que je porte un masque en-dessous. Je ne veux pas t’effrayer ».
« Ôte ce masque, grand-mère, je veux te voir et t’embrasser à nouveau ».
Alors la vieille femme essaya d’ôter le masque, mais en vain. Celui-ci restait collé à son visage. « Hélas, mon enfant, je ne peux plus ôter ce masque, je l’ai porté trop longtemps ».
Le garçon commença à prendre peur. « Je vais t’aider, grand-mère ». Il courut auprès de la chamane, du chef et des membres du Conseil. « Aidez-moi! Aidez-moi! ». Tout le monde s’assit autour de la vieille femme. Tous, ils tirèrent, et tirèrent encore sur le masque, mais impossible de l’enlever.
« Pourquoi portes-tu ce masque? » demanda finalement le chef à la vieille femme. Celle-ci se mit à sangloter. « J’ai revêtu ce masque afin de repousser les filles qui voulaient épouser et m’enlever mon petit-fils. Je l’aimais trop ».
A peine ces mots prononcés, elle sentit les sangles du masque se relâcher. « Le masque… Il se détache… » s’étonna-t-elle.
« C’est là le pouvoir de la Vérité, pensèrent les personnes présentes, tu as dû vivre dans le mensonge pendant très longtemps ».
« Enlève le masque, grand-mère, bredouilla le garçon, je t’aime encore, malgré tes mensonges ».
La vieille femme saisit le masque dans ses mains, et l’ôta sans difficulté, mais il chuta lourdement sur le sol. Derrière, il n’y avait rien.
Les beaux habits s’affalèrent en un tas informe. La vieille femme n’était plus.
D’elle, il ne restait que le masque.
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The Woman who Pretended to be Bolongo est extrait de C4 anthology, un recueil de textes gloranthiens publié à l’occasion de la convention Convulsion – The next generation en 1998.